Ces connotations négatives, Blodgett – dont les images sont généralement moins sombres que celles de Brault (voir Blodgett 2007 : 53) – les atténue d’abord. […] Parmi les minorités de langue officielle, les anglophones du Québec affichaient un taux de bilinguisme de 61 % (comparativement à 6 % chez les anglophones dans le reste du Canada), alors que les francophones en dehors du Québec avaient un taux de bilinguisme de 87 % (comparativement à 38 % chez les francophones du Québec) » (Lepage et Corbeil 2013 : 4). On ne saurait mieux, me semble-t-il, décrire l’écriture de L’homme invisible/The Invisible Man. Toutefois, par le jeu des influences inégales d’une langue à l’autre, il opère aussitôt un nouveau renversement, qui suggère la difficulté qu’a le français ontarien à occuper cette position. Ainsi, L’homme invisible/The Invisible Man du poète franco-ontarien Patrice Desbiens est paru en 1981 aux Éditions Prise de parole, en association avec Penumbra Press, un éditeur de langue anglaise de la même région au nord de l’Ontario. Je les prie simplement de m'en informer au préalable, sans porter plainte auprès de YouTube : le dialogue est toujours une vertu.) Le premier oiseau qu’il retient, celui qui lui permet de faire entendre sa voix, est l’alouette (voir Brault in Blodgett et Brault 1998 : 11). traduction poème dans le dictionnaire Francais - Anglais de Reverso, voir aussi 'poêle',poète',posément',potée', conjugaison, expressions idiomatiques En ce sens, leur lecture conjointe invite à un comparatisme ne portant exclusivement ni sur les imaginaires respectifs de l’anglais et du français au Canada ni même sur une zone frontière entre les deux qu’on imaginerait unifiée, ou uniformément perturbatrice. Dans Transfiguration (voir annexe 1), Blodgett et Brault créent tour à tour, chacun dans sa langue maternelle (l’anglais pour Blodgett et le français pour Brault), un poème qui sert d’inspiration au poème suivant, écrit dans l’autre langue par l’autre poète, et figurant sur la page suivante. Par La perspicacité du lien qu’il propose avec le bilinguisme officiel n’est cependant pas en cause. En même temps, lues dans une perspective traductionnelles, les saisons ne se relaient plus mais se réverbèrent les unes sur les autres. De l’autre, officialisant l’importance symbolique du français, elle accorde à celui-ci un avantage qui tend à délégitimer les tentatives de protection des minorités francophones. Ces multiples trajectoires de lecture possibles font écho à la démarche des auteurs, que Brault qualifie dans son texte liminaire « d’écriture oblique du poème », faisant signe à son vis-à-vis (Brault in Brault et Blodgett 1998 : 9). Les interprétations disponibles accolent quasi systématiquement le mot « disparition » à L’homme invisible/The Invisible Man et lui donnent d’emblée une signification collective (ainsi, Lasserre 1995-1996 : 67 ; Paré 2007 : 1988 ; Lagacé 1999 : 86 ; J. Melançon 2008 : 6). Il faudrait que Desbiens offre son livre à la bibliothèque du Parlement d’Ottawa, et qu’on le place à côté de la Constitution canadienne, comme mémento. In the narrow interstice between English and French lies a world as heterogeneous as the two sociolinguitic spaces it both joins and opposes. D’une part, elle place les poètes en terrain presque commun, le mimétisme entre son et sens tenant lieu d’universel ; de l’autre, la phonétique et l’orthographe différentes du français et de l’anglais maintiennent une distance, elles introduisent une variation qui rend le même autre. Fil de presse. Dans son analyse du « regard doxologique sur la traduction » à travers l’histoire du Canada français, Sherry Simon fait remarquer, à l’aide de nombreux exemples, que « [c]e sont souvent les effets délétères de la traduction sur la langue qui ont été relevés » (voir 1994 : 37 ; 39-40). Toutefois, lorsqu’il fait dépendre cette amitié de « mots / où le son est le sens », il restreint d’autant l’étendue de leur terrain commun. Il est également littéraire, la littérature québécoise ayant dès les années 1960 fait de l’emploi du français comme langue principale de ses textes le symbole du statut véhiculaire qu’il s’agissait de lui donner à l’échelle de la société (voir Leclerc 2010 : 189). La traduction de Brault, qui place l’« ami » au centre du vers, accentue visuellement l’espace qui sépare les correspondants : Citée plus haut (voir exemple 2), la réponse de Brault au poème de Blodgett vaut d’être reprise dans une interprétation légèrement différente, d’où ressortent certaines tensions. Par delà des thèmes et expressions qui facilitent l’entente, toute la structure du recueil est modelée de façon à adoucir les heurts. Cette remarque veut mettre l’accent sur la similitude de leurs approches. Citant Walter Benjamin, Bhabha y voit en effet « that element in a translation which does not lend itself to translation » (voir Bhabha 1994 : 224 ; Benjamin 1968 : 75). As one of us would leap into the air, the leap was made in the faith that the other would complete the leap. L’inspiration que les poètes se reconnaissent – et à laquelle Blodgett assimile explicitement leur démarche dès l’incipit du recueil (voir Blodgett in Blodgett et Brault 1998 : 8) – est le renga, un art poétique japonais dont la popularité a culminé il y a plusieurs siècles (voir Horton 1993 : 443 ; Brazell et Cook in Konishi 1975 : 29). En revanche, dans L’homme invisible/The Invisible Man, la proximité est à la fois inévitable et insoutenable. 13 oct. 2012 - Chansons et poèmes sommaire Anglais cycle III CM1 CM2 Aide à l'enseignement au cycle III fichier audio téléchargement Cette pagination est celle qui fait partie du texte lui-même plutôt que le folio de l’édition de 2008. Dans cette perspective, le rôle d’une figure comme celle d’Audie Murphy ne tient pas seulement à son ignorance du français. Ailleurs, l’usage des pronoms désignant les oiseaux s’harmonise. Pour le dire dans les termes de Charlotte Melançon, Transfiguration appartient donc « à un genre culturel étranger » (2000 : 11), dans le temps comme dans l’espace. Avec Transfiguration, les deux poètes créent précisément l’univers d’échanges réciproques dont ils affirment qu’il est difficilement envisageable dans l’espace sociopolitique où la Loi sur les langues officielles est appliquée. Au contraire, Transfiguration semble se caractériser par un éloignement de tout enjeu politique. Il y dénonçait le sort fait à son « fils dépouillé », dont « on ne reconnaît pas » la langue maternelle (1972). Le contraste entre les deux types de rapport à la traduction est frappant. Par exemple, les étiquettes des produits de consommation sont elles aussi assujetties à une exigence de bilinguisme. En termes traductologiques, on pourrait dire qu’il opte pour une équivalence fonctionnelle (voir Leclerc et Nolette 2014 : 269). L’opposition est plutôt à une « symétrisation » où la symétrie serait mimée sans qu’il y ait échange véritable. Nicole Nolette, durant ses études doctorales sous ma supervision, a rassemblé certaines ressources bibliographiques pour la préparation du présent article. Audie Murphy « ne parle pas français/doesn’t speak French » (Desbiens 2008 [1981] : 6), tandis qu’on peut lire l’anglais de Rimbaud sur les deux pages : Telle que la manie le poète, la formule de l’édition bilingue est bel et bien subvertie d’une manière qui met le bilinguisme officiel en accusation. bilinguisme - traduction français-anglais. La différence est à la fois infime et éminemment repérable. Qu’ils en soient remerciés. Outre les textes étudiés ici, Two shores/Deux rives de Thuong Vuong-Riddick (1995) est une autre édition bilingue digne d’intérêt de ce point de vue. La quête d’harmonie fait en sorte que la transfiguration soit graduelle et bidirectionnelle. Ces derniers voient les traces d’anglais qui parsèment les textes de l’écrivain comme des éléments exogènes intégrés dans une poésie de langue française. L’écrivaine y recadre le plurilinguisme de ses personnages immigrants à l’aune du bilinguisme officiel. Dix-sept ans plus tard, en 1998, paraissait Transfiguration, coécrit par le Québécois Jacques Brault et l’Albertain E. D. Blodgett. Ce travail est par ailleurs redoublé dans d’autres domaines de la vie canadienne. Le poème In Flanders Fields a été publié pour la première fois dans le magazine anglais Punch, en décembre 1915. En prenant parti pour le français contre l’anglais, Godbout ne sort pas des catégories établies par l’État, qui ne tiennent pas compte de « l’espace tiers » (Bhabha 1994 ; 1996) existant entre les entités qu’elles délimitent[11]. littérature britannique   L’auteure d’origine vietnamienne et établie en Colombie-Britannique présente un recueil de poèmes autobiographiques qu’elle formule dans les deux langues officielles. Plutôt, lire ces textes à la lumière l’un de l’autre permet d’interroger, en même temps que le contraste, la perméabilité de leur lien avec le bilinguisme officiel. C’est le cas de l’auteur de ces lignes, parfaitement capable de comprendre le khmer à l’oral sans pour autant être capable de le parler, de le lire, ou de l’écrire. On le voit déjà dans l’incipit où, tandis que l’expression « Franco-Ontarien » ne trouve pas sa place sur la page anglaise, la page française contient un calque de l’anglais : c’est sans préposition que l’homme invisible « est né à Timmins, Ontario ». En insistant sur les éléments folkloriques associés à la culture canadienne-française, la page anglaise situe la culture canadienne-française dans un temps reculé – révélant par ce « denial of coevalness » (Fabian 1983 : 31) un rapport colonial entre les deux cultures dites fondatrices du Canada. Passer par le renga permet donc à Blodgett et Brault de se rejoindre en terrain neutre et harmonieux. Mais la perturbation la plus importante a lieu ailleurs : bien qu’il y ait redondance partielle entre les versions anglaise et française du texte, les deux ne se redoublent pas entièrement, même sur le plan diégétique. Il le fait dans sa traduction des oiseaux de Brault : Il le fait également dans ses propres poèmes : Il conserve cette stratégie même lorsque Brault, par une pirouette syntaxique, féminise un oiseau masculin : Mais il arrive aussi à Blodgett – dont le choix s’appuie sans doute sur la polysémie du terme « hairy » en anglais – de reprendre le genre que Brault, suivant les règles du français, assigne à son oiseau : Quoi qu’il en soit, différence et rapprochement s’introduisent donc à nouveau, à la fois successivement et conjointement. Les divergences entre les versions, la traversée des langues entre la page de gauche et celle de droite, de même que le bouleversement des attentes quant aux langues de départ et d’arrivée n’en sont pas exclus. Ainsi la page française est-elle perméable à l’anglais alors que l’inverse n’est pas vrai. Plus encore, il devient un puissant moteur d’écriture. Homi Bhabha (1996 : 54) présente cet espace comme « the contaminated yet connective tissue between cultures – at once the impossibility of culture’s connectedness and the boundary between », qui « introduce[s] into the polarization of liberals and liberationists the sense that the translation of cultures is a complex act […] that generates borderline affects and identifications […] ». Mais cette opposition trouve aussi à s’alimenter dans les écrits antérieurs des deux poètes, eux-mêmes chercheurs et essayistes. Or, on a plutôt affaire ici à un récit en deux langues, où la duplication offerte par la traduction (gage des éditions bilingues) est à la fois incomplète et inconstante. 2012). Encadré par une politique officielle qui le valorise en affirmant l’égalité des deux langues, ce bilinguisme fait en même temps l’objet de méfiance, certains le considérant comme superflu et d’autres jugeant insuffisante la protection qu’il accorde au français, langue minoritaire. Les conséquences du bilinguisme sur le cerveau Victimes de l’inégalité des univers où ils sont transposés, ils servent moins d’influence qu’ils ne reçoivent celle de la culture anglo-américaine : À un Rimbaud rétrogradé fait face Audie Murphy, héros de guerre, vedette de cinéma et idole de l’homme invisible enfant. Lorsqu’il l’est, il est source d’exotisme. Citons quelques exemples classiques : Emily Dickinson, Poésies complètes, traduit par Françoise Delphy (Flammarion) ; Paris, d’E. C’est elle qui sera utilisée dans tout l’article. Transfiguration illustrates the desire to exploit translation’s potential to scramble ownership and property. Par exemple, c’est à Brault qu’est due, dès son premier poème, l’introduction d’oiseaux dans le recueil (voir Blodgett 2000 : 17). Or, comme la création de tels documents s’effectue le plus souvent dans la langue de la majorité, c’est de l’anglais vers le français qu’ont lieu la plupart des traductions (voir Blodgett 1982 : 29-30 ; Juel 1999 : 239 ; Taravella 2011 : 4). Sherry Simon, à tout le moins, qui a le plus abondamment commenté Transfiguration, établit précautionneusement une telle analogie : « Though Transfiguration avoids explicit political references, it could perhaps be read as a parody of symmetrical bilingualism » (2006 : 140). BibTeX, JabRef, Mendeley, Zotero, Bilinguisme officiel et traduction au Canada : les interprétations littéraires de Patrice Desbiens et de Jacques Brault / E. D. Blodgett, Bilinguisme officiel et traduction au Canada : les interprétations littéraires …, 1.